Revue de Presse | 29 mars 2017

Le Journal des Femmes | 28 mars 2017

Chef emblématique du concours Top Chef, Eric Guérin accueillera les candidats encore en lice mercredi 29 mars. C’est dans son établissement La Mare aux Oiseaux qu’il les défiera sur une épreuve de croquis, sa « patte culinaire ».

Eric Guérin, le bon goût du dessin : Entretien avec un cuisinier étoilé qui a toujours eu le dessein du dessin

Un bon coup de crayon.

« Beaucoup de chefs partent du produit pour construire leurs plats, moi je m’inspire d’une émotion, d’une histoire personnelle, d’une anecdote. Je fais appel à la bibliothèque que j’ai en tête, riche de tous mes ingrédients fétiches que je mets au service de mon histoire. Le produit reste essentiel mais je ne construis pas mes assiettes autour de lui. Par exemple, si je cuisine le lapin c’e ne sera pas parce que j’en ai vu un sur les étals. L’envie de le cuisiner partira du fait que j’en ai vu un au milieu des marais. Je vais supposer qu’il a nagé jusqu’à son petit îlot et que pour manger il a été obligé de pêcher : cela donne un lapin aux anguilles. » 

De la mare au jardin, le croquis fait son chemin.

« Il y a deux façons de faire. A la Mare aux Oiseaux, je donne mes croquis à mes seconds qui se chargent de commander tous les ingrédients notés. Ils les cuisinent selon mes indications et le premier jour de sortie de carte, je fais les premiers plats. Ceux qui sont matérialisés dans les assiettes sont les miens, Mes équipes du Jardin des Plumes ont davantage de liberté. J’envoie mes croquis à mon chef qui crée ses plats selon sa sensibilité. La mienne est la base, il ajuste selon ses envies même si je me rends une fois par mois là-bas pour veiller à ce que les plats soient cohérents par rapport à mon identité et ce que je propose à la Mare aux Oiseaux. » 

Pourquoi le croquis ?

« L’intérêt du croquis est de laisser libre cours à l’imagination de chacun. Il évite à un chef d’avoir une parole unique et imposée. J’ai un style bien affirmé mais j’offre à mon équipe une marge d’expression. Je suis dans le partage, l’échange. C’est essentiel pour faire bouger ma cuisine, la rendre plus contemporaine.

Page pas si blanche.

« L’angoisse de la page blanche, je l’ai à chaque fois que je créé des nouvelles cartes, soit tous les deux mois et demi. Avec deux maisons, cela fait beaucoup de plats a imaginer sachant que je ne reprends jamais, ou alors très rarement, un plat existant. La difficulté, c’est de faire mieux, de se réinventer. Il y des jours où cela me semble plus évident que d’autres notamment lorsque je suis pris par le stress et les angoisses de la vie courante qui m’asphyxient. Il faut que je sois en phase avec le moment sinon, c’est dur. »

Exposition limitée.

« Je me suis pas mal ouvert avec mon ouvrage Migrations : Voyages, émotions, cuisine, dans lequel j’ai partagé de nombreux écrits personnels. Je publie des photos sur Instagram et mon site Internet. Pour mes croquis, c’est un peu différent. J’en ai des armoires pleines, on m’a proposé plusieurs fois de les exposer mais je reste assez timide, pudique. Je ne me sens pas encore prêt. »

À table(tte).

« Les menus et cartes des vins numériques troublent un peu mes clients mais c’est une fausse histoire, car ils ont tous ultra connectés avec leur téléphone. J’en avais marre de passer mon temps à réimprimer des cartes ou de faire des croix lorsqu’il manquait des produits. La tablette permet d’être réactif, de changer les plats à volonté et de distiller des infos sur la vie de nos restaurants. Là une exposition, ici une soirée cabaret. La clientèle est informée en live. C’est une façon d’être contemporain, de vivre avec mon temps. »

Le restaurant du musée de Nantes, nouvelle (mu)muse.

« Avec ce restaurant pour lequel j’ai carte blanche sur la proposition culinaire, je boucle la boucle ! Cela fait sens pour moi qui suis arrivé aux fourneaux par le dessin. Cuisiner dans un lieu aussi magique et expressif est une véritable chance. Je suis très fier aussi de devenir un acteur du patrimoine, faire vivre un lieu qui a une âme, une histoire. Je n’ai pas encore d’idées précises de menu mais je vais tâcher de rester dans la simplicité tout en collant à l’esprit artistique du musée. Et dans la mesure du possible, je proposerai des plats clin d’œil aux expositions. »

Dur dur d’être un entrepreneur.

« Notre métier n’a jamais été autant médiatisé et paradoxalement, on n’a jamais eu jamais eu autant de mal à recruter, parce qu’il n’a pas la cote dans son fonctionnement. C’est une évolution à deux temps deux vitesses, aussi parce que la formation professionnelle n’est plus du tout adaptée à ce qu’il se passe dans nos entreprises. Les jeunes sont perdus. J’ai le sentiment que c’est beaucoup plus compliqué d’avancer qu’il y a encore quelques années. J’ai deux maisons qui marchent très bien mais cela ne m’empêche pas d’être sur le fil du rasoir et de me demander tous les ans si je passerai l’hiver. En tant que chef d’entreprise, je me tords dans tous les sens pour que mes équipes s’épanouissent. J’aimerais notamment pouvoir embaucher pour qu’e mon personnel fasse moins d’heures. Mais ce n’est pas évident car les entreprises françaises crèvent sous les charges. J’ai le sentiment qu’on nous met des bâtons dans les roues. »

Agir pour l’écologie.

En tant que citoyen, on ne peut pas décemment pas passer à côté des dérèglement climatiques sur la planète. En tant que cuisinier, je me suis engagé aux côtés du site Atabula en signant son appel au bien manger. Nous sommes tous empoisonnés et il serait temps de nous réveiller s’il l’on souhaite conserver la diversité et la qualité des produits pour les générations futures. Il faut davantage de transparence, plus de clarté, des engagements.

Quelle (r)évolution en cuisine ?

« La cuisine est profondément impactée par les services de distribution. A Paris par exemple, ce sont les produits qui guident les chefs. Lorsque j’y vais, je teste pas mal de restaurants et j’ai l’impression de manger les mêmes produits partout. Travaillés avec la touche du chef certes mais on sent le réseau de distribution derrière. L’autre bouleversement de la cuisine vient des réseaux sociaux. Ces outils ouvrent aux cuisines du monde mais paradoxalement uniformisent les assiettes. On reproduit ce que l’on y voit. Je veille à ce que mes jeunes ne reprennent pas les gimmicks qu’ils voient sur Instagram, facebook, etc… Même si je suis le premier à y être quotidiennement ! J’aime la diversité, j’ai mon univers et je ne veux pas qu’il soit « pollué » par tel ou tel phénomène de mode. Heureusement que je peux faire appel à mes histoires personnelles. Même si certaines reviennent, je sais que selon la lumière, mon humeur, je les traiterais différemment. C’est la magie de ma cuisine. »

 

comparatif du croquis et de la photo du plat. Méthode de travail du chef étoilé au guide michelin, Eric Guérin

Dessine-moi une recette pour Top Chef !

« Voici un croquis nu, sans explications d’ingrédients. Cela permet à chacun de laisser libre cours à son imagination, d’exprimer sa personnalité. Pour rendre la tâche un peu plus compliquée aux candidats de Top Chef, la production m’a demandé un croquis très structuré avec des formes très géométriques. C‘est une double épreuve basée sur le visuel – les candidats doivent coller au maximum à mon croquis – et bien sûr, le goût.
En principe, j’ai tendance à me laisser guider par des formes un peu imparfaites, des assemblages de couleurs. »

On mange de ce bois-là.

« Le poireau noirci à l’encre de seiche est l’un de mes plats signature. Il m’a été inspiré par ce que la nature me donne et plus particulièrement par l’histoire du bois de morta. Je vis au milieu des marais de la Brière, entouré d’oiseaux et de roseaux. Il y a des milliers d’années, ces marais étaient une forêt qui a été inondée. Ses chênes ont été ensevelis par les eaux puis se sont minéralisés, conservés sous des couches de vases. Aujourd’hui, quand on extrait le morta, il est noir. Le poireau noirci fait écho à ce précieux bois (ndlr, dont ses couteaux de table sont également faits). Pour apporter du punch à cette histoire « vaseuse », le morceau de poireau est surmonté d’une double crème, elle-même surmontée d’une pointe de caviar. » 

 

croquis-menu-mare-aux-oiseaux

Croquis Menu.

« Ce type de croquis, c’est ce que je donne à mes équipes. Ce menu, par exemple, c’est l’original. Il n’y a rien d’autre que ces éléments. Au moment de le faire, je dessine puis je rajoute les ingrédients au fur et à mesure selon que je souhaite plus ou moins de croquant ou de fondant. J’essaie de traduire mes émotions dans l’assiette. Par exemple, s’il y a des escargots, c’est parce que j’aurai pensé mon plat après la pluie. Si je mets des agrumes, c’est le soleil qui aura été la source de mon inspiration.
Le menu Picoron, c’était un menu d’automne. Pour le plat du milieu, je suis parti du marais pour emmener mes clients en balade. Le point de départ, c’est le trait de beurre de trompette. Il est posé dans l’assiette comme un petit chemin qui invite à entrer dans les sous-bois. On y ramasse les odeurs, les saveurs d’automne telles que les noisettes grillées. Puis l’on découvre un morceau de râble de lapin, un autre de lard qui rappellent l’un la chasse, l’autre le feu de cheminée. Les rillettes, elles, font penser au fameux petit casse-croûte que l’on déguste après la chasse. Les endives donnent de l’amertume quand le nougat la contrebalance avec sa saveur douce et sucrée. L’idée, c’est que le client se sente embarqué dans une balade de saison à chaque bouchée. »

 

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